¿Nunca mas?
Catégorie(s): Droits humains, Système interaméricain de protection des droits humains, Coopération volontaire, Honduras, 2015
L’auteure, Andrée-Anne Perrault-Girard, est conseillère juridique volontaire déployée au Honduras depuis juillet 2015 auprès de COFADEH (Comité de los familiares de Detenidos-Desaparecidos) dans le cadre du projet «Protection des enfants, femmes et autres collectivités vulnérables» mis en œuvre par Avocats sans frontières Canada (ASFC) et le Bureau international des droits des enfants (IBCR) grâce à l'appui financier du gouvernement du Canada accordé par l'entremise d'Affaires mondiales Canada.
Je me suis levée du pied gauche ce matin, un fait assez unique puisque je suis plutôt excessivement exubérante aux petites heures du jour. Je me suis réveillée de si mauvaise humeur que même la perspective d’une rencontre avec la Procureure générale des droits humains au Honduras ne me faisait pas sourire. J’ai toutefois été chanceuse, on m’a offert « un lift » jusqu’au bureau, m’évitant ainsi la quantité impressionnante de « cat calls » durant les dix minutes de marche nécessaire pour me rendre au bureau. Je n’ai même pas sourcillé quand le chauffeur m’a demandé si j’étais à l’aise s’il me déposait « au coin de la rue là, celui avec les trois militaires armés ». J’ai traversé le groupe armé sans dire bonjour, fait du slalom entre les voitures en traversant la rue et je me suis engouffrée puis embarrée dans mon bureau.
Neuf heures arriva bien trop tôt et je descendis pour accueillir la Procureure. Pourtant, aucun des deux visages souriants m’accueillant à l’entrée du bureau ne ressemblait aux photos que j’avais vues d’elle auparavant. On m’apprend alors que la Procureure a eu un empêchement et a plutôt envoyé ses « subalternes ». Quelle surprise, marmonnais-je à moi-même.
Plus ou moins une heure plus tard nous commençons enfin. Mon« air de bœuf » disparait doucement et laisse place à de l’admiration pour ces deux « subalternes » présentes pour nous exposer leur plan d’action pour enquêter1 sur les cas de disparitions forcées au Honduras. En effet, il y a peu de temps, la Procureure générale des droits humains annonça la réouverture des enquêtes concernant les cas de disparitions forcées des années 1980 et début des années 1990, et la réunion visait la présentation d’un plan d’action.
Un peu d’histoire
Depuis le début de sa création, il y a 33 ans, COFADEH a recensé plus de 184 cas de disparitions forcées2 . En collaboration avec d’autres organismes, COFADEH a documenté la majorité de ces cas et agit à titre de représentants légaux lorsque ceux-ci furent portés devant les instances nationales et internationales. Plusieurs de ces cas ont engendré des décisions de la Cour interaméricaine des droits de l’Homme3 , dont les trois mentionnées ici-bas.
Dans les deux premiers jugements suivant la création de la Cour interaméricaine, celle-ci a condamné l’État du Honduras en raison de la pratique de la torture et des disparitions forcées. Dans la décision du premier cas, Manfredi Velazquez Rodriguez, la Cour a reconnu que la disparition forcée était une pratique courante et tolérée par les autorités honduriennes entre les années 1981 et 1984. Plus tard, en 1989, dans le cas de Saul Godinez Cruz, la Cour a réaffirmé que le Honduras était responsable de ce délit ainsi que de séquestration et de traitements cruels et inhumains. La Cour a condamné l’État du Honduras à indemniser les familles des victimes, enquêter sur les faits et poursuivre les responsables. En 2003, dans un troisième cas, celui de Juan Humberto Sanchez, l’État du Honduras fut à nouveau condamné pour ce même délit.
Y ahora? Et maintenant?
Depuis pourtant, les familles de ces trois victimes, tout comme celles des 181 autres, n’ont toujours pas eu de réponse à leur quête de vérité et de justice. Qui plus est, depuis le coup d’État de 2009, la pratique de la disparition forcée, qui avait pratiquement disparu, a repris de l’ampleur, allant faire jusqu’à 63 nouvelles victimes selon certaines sources4 .
C'est pourquoi cette annonce de la réouverture des enquêtes relève d’une extrême importance. COFADEH a donc tenu dans ses locaux une réunion rassemblant les familles de personnes disparues dans les années 1980. Depuis plus de 30 ans, ces familles continuent de soutenir la lutte de COFADEH et de fournir les efforts nécessaires à ce que justice soit rendue pour eux et leurs êtres chers.
Il faut mentionner que ce n’est pas la première fois que le Ministère public fait une telle annonce. Tous les cinq à dix ans, une nouvelle équipe est mise sur pied puis dissolue quelques années plus tard. Suite à notre rencontre de cette semaine toutefois, je dois dire que j’y crois plus que jamais. Les « subalternes » sont motivées et ce, malgré le manque d’appui politique et le fait que certaines preuves des enquêtes antérieures aient mystérieusement disparus durant ces années d’inactivité. Quelle ironie, des victimes de disparitions forcées dont les ossements disparaissent une deuxième fois!
En conclusion, je suis peut-être naïve, mais je crois à cette annonce et je suis convaincu que COFADEH, avec l’expérience de ces 33 dernières années, peut être d’une précieuse aide. Autrement dit, rien de mieux qu’une rencontre avec des personnes inspirantes pour se rappeler pourquoi les coopérants volontaires d’ASFC sont sur le terrain et travaillent fort, que ce soit un bon ou un mauvais jour. Enfin, je crois qu’il faut avoir une motivation inébranlable et des convictions profondes pour continuer notre lutte malgré toutes les embuches, ce que COFADEH et ASFC possèdent à mes yeux.
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1: La déclaration exacte est la suivante : “se ha abierto una unidad para dar respuesta a estos casos que han estado en la Fiscalía de Derechos Humanos y que no han tenido un impulso procesal; ya tenemos casos judicializados, otros sin judicializar y se ha destacado un equipo fiscal para ese hecho”.
2: La convention interaméricaine sur la disparition forcée définit la disparition forcée comme la privation de liberté d'une ou de plusieurs personnes sous quelque forme que ce soit, causée par des agents de l'Etat ou par des personnes ou des groupes de personnes qui agissent avec l'autorisation, l'appui ou l'acquiescement de l'Etat, suivie du déni de la reconnaissance de cette privation de liberté ou d'information sur le lieu où se trouve cette personne, ce qui, en conséquence, entrave l'exercice des recours juridiques et des garanties pertinentes d'une procédure régulière.
3: Ci-après « Cour » ou «cour interaméricaine »
4: Les différents organismes de droits humains ainsi que le Ministère public ne s’entendent pas sur le nombre exact de victimes étant donné le climat de violence qui règne au pais et l’importance du trafic de drogue.