Blog

Retour au blogue

Audience de la CourIDH : Opinion consultative sollicitée par la Colombie

Catégorie(s): Voluntary cooperation, Human rights, International law, Colombia, 2017

Alima Racine est conseillère juridique volontaire et stagiaire du Barreau du Québec déployée au Guatemala dans le cadre du projet « Protection des enfants, femmes et autres collectivités vulnérables » mis en œuvre par Avocats sans frontières Canada (ASFC) et le Bureau international des droits des enfants (IBCR) grâce à l'appui financier du gouvernement du Canada. Elle agit au sein du Centre pour l’Action Légale en Droits Humains (CALDH), organisation guatémaltèque de défense des droits humains.

Le 22 mars 2017, en marge de la troisième journée de la 57e session extraordinaire de la Cour interaméricaine des droits de l’Homme (la Cour), s’est tenue dans la capitale guatémaltèque une audience publique pour entendre les arguments concernant la demande d’un avis consultatif présentée par l’État colombien. En effet, l’Etat colombien a exercé le droit prévu à l’article 64(1) de la Convention américaine relative aux droits de l’Homme (Pacte de San José) qui permet à tout Etat membre de consulter la Cour à propos de l'interprétation de la présente Convention ou de tout autre traité concernant la protection des droits de l'Homme dans les Etats américains.

La demande

Le 14 mars 2016, la Colombie déposait une demande d'avis consultatif sollicitant que la Cour interprète certaines obligations à savoir, l’obligation de respecter les droits reconnus dans la Convention , notamment le droit à la vie et le droit à l'intégrité personnelle , de personnes affectées par l'impact de grands projets de développement économique en milieu marin, en particulier dans la région des Caraïbes.

Les questions spécifiques posées à la Cour

Le représentant de la Colombie, suivi des représentants de l’Etat guatémaltèque, de l’Argentine, du Honduras et de la Bolivie se sont succédés devant les sept juges de la Cour pour faire valoir tour à tour leurs arguments. Divers représentants de la société civile ont également exprimé leurs opinions devant la Cour.

La demande comportait trois questions spécifiques:

La première question qui s’inspire de l’obligation de respecter les droits promus dans la Convention américaine, est de savoir si ce pacte comporte des obligations extraterritoriales pour un État lorsqu'il est interprété à la lumière d'un système de protection de l'environnement fondé sur un traité auquel cet État est partiel. Dans l'affirmative, la question serait de connaître les conséquences de ces obligations par rapport à la responsabilité de l'État.

La deuxième question met en évidence la conduite des États qui pourrait causer de « graves dommages au milieu marin » et leurs conséquences sur le droit à la vie et à l’intégrité personnelle d des habitants de « la côte et/ou les îles d'un autre État partie ». Autrement dit, il s’agit de savoir si le droit international des droits humains pourrait servir de véhicule pour l'application extraterritoriale du droit international de l’environnement.

La troisième question en provenance de la Colombie cherche à savoir si les obligations environnementales découlant du droit à la vie et du droit à l’intégrité personnelle exigent l'obligation d'effectuer des études d'impact sur l'environnement. La demande circonscrit la question aux « impacts pervers négatifs sur la région des Caraïbes en raison de la construction et de l'exploitation de grands nouveaux projets d'infrastructure permanente ».

Les arguments mis de l’avant

Le représentant de l’État colombien a commencé par expliquer que la situation ayant conduit la Colombie à présenter cette demande d’avis consultatif est liée à la dégradation dramatique de l’environnement marin et humain dans la région de la grande Caraïbe pouvant résulter des actions et/ou des omissions des Etats riverains de la Mer des Caraïbes dans le cadre de la construction de nouveaux grands ouvrages de génie civil. D’où l’urgence et l’intérêt pour la Colombie d’agir afin de prévenir et de limiter les dégâts environnementaux des habitants des îles de cette région. Selon lui, cela permettrait entre autres de protéger les droits des habitants dans cette zone.

Le représentant de l’État colombien a aussi allégué l’existence d’un lien normatif entre le droit de l’environnement et les droits humains, étant donné que « l’objet et le but du premier de la Convention des droits humains consiste précisément à protéger l’entourage naturel dans lequel vivent et se développent les êtres humains aussi bien à titre individuel que collectif ».

Quant à l’obligation de respecter les droits prévue à l’article 1.1, le représentant de l’État colombien a également souligné l’importance d’avoir une connaissance claire du domaine d’application de la Convention en matière environnementale aux habitants des îles de la région de la grande Caraïbe afin de leur garantir une protection efficace de leurs droits humains.

Pour ce qui est du droit à la vie prévu à l’article 4.1, le représentant de la Colombie a fait valoir l’imminence du problème en alléguant les dommages environnementaux qui pourraient nuire de façon irréparable : « non seulement les ressources de cet environnement mais aussi la qualité de vie des habitants des côtes et des îles de la région, leur mode de vie et de survie, ainsi que leur développement potentiel qu’il soit économique, social ou culturel, ainsi que leurs projets individuels et collectif ».

Concernant le droit à l’intégrité personnelle, le représentant de la Colombie a défendu l’idée selon laquelle ce droit serait tributaire d’un environnement sain. En d’autres termes, les dommages éventuels sur la mer des Caribes « peuvent conduire non seulement à une violation du droit à une vie digne mais aussi à une violation du droit à l’intégrité de la personne chez les habitants des côtes et des îles de la région ».

Même si la plupart des États et organismes intervenant ont salué l’initiative de la Colombie de présenter une telle demande, il convient de garder à l’esprit que certains États, dont le Guatemala, estiment que la demande est liée aux litiges existants entre la Colombie et le Nicaragua devant la Cour internationale de Justice (4).

Cette troisième journée de la 57e session extraordinaire de la Cour fut une journée inédite en ce sens qu’elle a été le théâtre d’une tentative de conciliation entre l'obligation des États en matière de droit de l’environnement avec des obligations bien établies dans la jurisprudence de la Cour (5). L’état actuel des choses concernant les fondements scientifiques des activités de l'État qui nuisent à l'environnement, y compris les activités liées au changement climatique ne définit pas de façon claire la portée des obligations de type préventif tel que le principe de précaution et son statut en droit international. La demande se présente donc comme une possibilité intéressante pour combler le vide juridique en ce qui a trait au développement d'obligations concrètes sur le plan strict du droit international de l’environnement. Comme l’ont souligné nombre d’intervenants devant la Cour aujourd’hui, les droits de consultation préalable et de la personnalité juridique des communautés autochtones et tribales, qui constituent une part importante de la population de la région des Caraïbes, sont particulièrement importants pour la présente demande.

(1) Article 1.1 du Pacte de San José.
(2) Article 4.1 du Pacte de San José.
(3) Article 5.1 du Pacte de San José.
(4) Violations alléguées de droits souverains et d'espaces maritimes dans la mer des Caraïbes (Nicaragua c. Colombie) : htp://www.icjcij.org/docket/index.php?p1=3&p2=3&code=nicolc&case=155&k=37
(5) A savoir les obligations des Etats en matière de droits humains telles que l’obligation de protéger la vie et l’intégrité personnelle de leurs ressortissants.