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La défense des droits humains chez APRODEH

Catégorie(s): Voluntary cooperation, Human rights, Peru, 2015

L’auteure, Camille Provencher, est conseillère juridique volontaire déployée au Pérou depuis juillet dernier dans le cadre du projet «Protection des enfants, femmes et autres collectivités vulnérables» mis en œuvre par Avocats sans frontières Canada (ASFC) et le Bureau international des droits des enfants (IBCR) grâce à l'appui financier du gouvernement du Canada accordé par l'entremise d'Affaires mondiales Canada. Depuis le mois de juillet, elle réalise un mandat à Lima au sein de l’ONG Asociación Pro Derechos Humanos (APRODEH).

Voilà déjà un peu plus d’un mois qu’a débuté ma mission de conseillère juridique volontaire au Pérou pour Avocats sans frontières Canada. Je réaliserai mon mandat auprès de l’ONG péruvienne APRODEH (Asociación Pro Derechos Humanos), ayant son siège à Lima et des bureaux à Ayacucho et à Abancay. Dans ce premier billet, je présenterai l’association et sa mission.

Photo (presque complète) de l’équipe de Lima prise il y a quelques mois devant la façade du bureau.

Le conflit

APRODEH est née il y a 32 ans dans le cadre du conflit armé interne qui s’est déroulé au Pérou dans les années 1980 et 1990. Je reviendrai probablement plus en détails sur ce conflit dans un autre billet, mais je résumerai ici en précisant tout d’abord que s’opposaient alors les forces de l’ordre de l’État péruvien et deux groupes qualifiés de terroristes, soit le Sentier lumineux (Partido comunista del Perú - Sendero Luminoso – PCP-SL) et le Mouvement révolutionnaire Túpac Amaru (Movimiento Revolucionario Túpac Amaru – MRTA), le premier ayant été grandement plus présent. Les atrocités commises de part et d’autre ont mené à près de 70 000 morts, des milliers de disparitions forcées, d’innombrables actes d’intimidation, de torture, d’agressions sexuelles, etc. D’un côté, les groupes terroristes et leurs attaques subversives visant à renverser le système politique à des fins idéologiques. De l’autre, l’État et sa stratégie de répression aveugle d’une violence sans précédent. Au milieu, des campesinos (paysans), principalement autochtones, pauvres et victimes d’exclusion sociale.

Pendant et suivant cette période sombre, alors que l’État s’est empressé de juger et punir les auteurs des crimes perpétrés par ceux appartenant (ou soupçonnés d’appartenir) aux groupes terroristes, la sanction des actes de violations de droits humains commis par l’État et ses représentants n’a pas été assurée avec la même célérité. Un système a plutôt été implanté afin que ces actes soient commis dans l’impunité la plus totale. Cette stratégie d’impunité a culminé en 1995 lorsque le gouvernement de Fujimori a adopté des lois d’amnistie visant à empêcher ou interrompre toute enquête ou poursuite à l’égard des militaires, policiers, fonctionnaires ou civils participant à la lutte antisubversive. Quelques années plus tard, la Cour interaméricaine des Droits de l’Homme a déclaré ces lois sans effet juridique. Cela a mené, au début des années 2000, à l’ouverture et à la réouverture de centaines de poursuites judiciaires impliquant des représentants de l’État(1).

Bien que, dans les premières années suivant sa fondation, APRODEH ait défendu des personnes injustement accusées d’actes terroristes, ainsi que des victimes du PCP-SL ou du MRTA, elle se consacre dorénavant à la représentation de victimes (communautés, familles et individus) de crimes perpétrés par l’État pendant la période de violence. Un programme a également été mis en place par APRODEH afin d’accompagner les victimes ayant obtenu gain de cause devant la justice dans leurs démarches administrative pour recevoir la réparation accordée par le tribunal. Le chemin qui reste à parcourir avant que justice ne soit rendue dans l’ensemble des dossiers est encore long et sinueux. Il s’agit là de la principale bataille qu’APRODEH a menée, et continue de mener, depuis ses débuts. Ce n’est toutefois plus la seule.

Les droits des plus vulnérables

En effet, APRODEH a notamment élargi sa mission à la défense des droits civils et politiques en dehors du contexte du conflit armé. Elle est également très active depuis la fin des années 1990 dans la lutte pour la reconnaissance et le respect des droits économiques, sociaux et culturels (DESC) et ce, principalement à l’égard des groupes en situation de vulnérabilité (autochtones, femmes, enfants, communauté LGBTI, etc.). J’expliquerai davantage ce que sont les DESC dans un prochain billet où j’aborderai très certainement des aspects ayant trait à un dossier sur lequel je travaillerai pendant mon mandat, dossier qui procédera prochainement devant la Commission interaméricaine des Droits de l’Homme. APRODEH y représente une communauté autochtone s’opposant au gouvernement qu’elle accuse d’avoir contrevenu à plusieurs de ses obligations dans le cadre de l’octroi de terres ancestrales à une compagnie minière.

Par ailleurs en 2007, APRODEH a ajouté à son éventail de projets un programme de défense des droits des personnes handicapées. Celui-ci vise à développer une variété d’actions, de concert avec d’autres ONG, afin de promouvoir le respect de la dignité des personnes souffrant d’un handicap (surdité, maladie mentale, etc.) ainsi que leur autonomisation. Les membres de l’équipe dédiée à ce programme étant essentiellement des professionnels œuvrant dans le domaine psycho-social, ils font surtout un travail d’accompagnement et d’orientation auprès des personnes handicapées et de leurs associations. Le programme vise également à sensibiliser les institutions à divers enjeux touchant ces personnes, comme l’accès à l’emploi et à l’éducation, ou encore la violence physique, psychologique ou sexuelle. Finalement l’équipe opère un système de surveillance à travers lequel il est possible pour tout citoyen de dénoncer des actes de discrimination à l’égard de personnes handicapées.

Éducation et sensibilisation

Au-delà du travail purement juridique, APRODEH accorde une grande importance aux volets « éducation » et « sensibilisation » de sa programmation et cela, tant avec l’objectif de ne pas oublier le passé que celui de construire un futur où les droits de chacun seront mieux respectés. Par exemple, en plus d’avoir un programme de commémoration qui vise à garder vivant le souvenir des victimes du conflit par le biais de diverses célébrations et de la promotion de monuments symboliques, APRODEH s’investit largement auprès des jeunes militants et artistes engagés en offrant des formations variées en matière de droits humains et en les soutenant dans la mise sur pied de leurs actions.

L’éducation et la sensibilisation du public péruvien, des institutions étatiques et de la communauté internationale est également en grande partie le fruit du travail de l’équipe des communications d’APRODEH. En plus de coordonner l’organisation de différents événements et leur diffusion ainsi que les relations avec les médias et les ONG partenaires, cette équipe travaille d’arrache-pied à promouvoir les droits humains par la réalisation de publications diverses dans des livres, revues, dépliants et sur les réseaux sociaux.

Voir notamment :
https://www.facebook.com/pages/Prensa-APRODEH/105688682484
https://twitter.com/prensaaprodeh
http://www.aprodeh.org.pe/ (en construction)https://www.youtube.com/user/aprodeh

Les bureaux d’Ayacucho et d’Abancay quant à eux apportent une perspective régionale et plus locale au traitement de ces différents thèmes. Le bureau d’Ayacucho met davantage l’accent sur les dossiers relatifs au conflit, Ayacucho ayant sans doute été la région la plus touchée à l’époque, alors que le bureau d’Abancay, se trouvant dans la région minière d’Apurímac, se concentre surtout sur les dossiers de revendications environnementales et autochtones.

C’est donc avec grand plaisir que je me joins à cette belle équipe et que je tenterai du meilleur de mes capacités et de mes connaissances de contribuer à sa mission pendant la durée de mon mandat.

Photo prise lors de notre lunch spécial pour les « fiestas patrias ».

(1) Les textes portant sur le conflit sont nombreux, mais pour un maximum d’information, voir le rapport final de la Commission de la Vérité et de la Réconciliation émis en 2003 et disponible en ligne à l’adresse suivante : http://www.cverdad.org.pe/ifinal/index.php.