
Cas Siekavizza au Guatemala : Renvoi à procès pour féminicide
Catégorie(s): Droits des femmes, Coopération volontaire, Violence basée sur le genre, Guatemala, 2015
L’auteure, Alexandra Billet, est conseillère juridique volontaire déployée au Guatemala dans le cadre du projet «Protection des enfants, femmes et autres collectivités vulnérables» mis en œuvre par Avocats sans frontières Canada (ASFC) et le Bureau international des droits des enfants (IBCR) grâce à l'appui financier du gouvernement du Canada accordé par l'entremise d'Affaires mondiales Canada.
Au Guatemala, dans le cadre du procès Siekavizza, le juge Miguel Angel Gálvez du Tribunal de Haut Risque B a fait connaître le 3 décembre dernier sa décision de renvoyer à procès l'accusé Roberto Barreda pour féminicide. La mère de l’accusé, Beatriz Ofelia de León, ex-présidente de la Cour Suprême de Justice du Guatemala, fait également l’objet d’accusations.
Accusés:
Roberto Barreda : extrême gauche
Beatriz Ofelia de León : deuxième en partant de la droite
Les faits
Les faits remontent au 6 juillet 2011, lorsque Cristina Siekavizza, mère de deux jeunes enfants et épouse de l'accusé, disparaît soudainement de son domicile. Le jour suivant, le père de la victime, Juan Luis Siekavizza, signale sa disparition auprès de la police.
Roberto Barreda, mari de la victime, devient rapidement le suspect numéro un et un mandat d'arrestation est émis contre lui le 16 août 2011. Ce n'est que le 8 novembre 2013 qu'il sera appréhendé au Mexique où il avait fui avec ses deux enfants un mois après la disparition de sa femme.
Le corps de la victime n'a toujours pas été retrouvé.
La décision
Après avoir examiné de manière préliminaire la preuve déposée par le Ministère Public, le juge a considéré qu'il existait des indices suffisants liant les accusés aux faits qui leur sont reprochés et a ordonné leur renvoi à procès. Lors de l'audience, le juge a passé en revue les déclarations des divers témoins de l'affaire, notamment celles de l'employée de maison, d'un ami de l'accusé et de la sœur de la victime. Le juge a fait état d'une relation conjugale empreinte de violents différends entre la victime et l'accusé. Il a également fait référence au dessin que l'un des enfants avait réalisé quelques jours après la disparition de Cristina Siekavizza, représentant un être maléfique avec une fourche au dessus de deux petits êtres, que l'enfant lui même avait intitulé « La película de la muerte » (Le film de la mort). Malgré les arguments de la défense à l'effet que l'accusation de féminicide ne peut être retenue considérant que le corps n'a toujours pas été retrouvé, le juge considère cependant qu'il existe des indices rationnels et circonstanciels suffisants indiquant le décès de Cristina Siekavizza.
L'audience sur la présentation des preuves, qui devait avoir lieu le 8 décembre, a été remise sans qu'une nouvelle date n'ait été fixée pour l'instant.
Roberto Barreda est accusé par le Ministère Public de féminicide, de menaces et de maltraitance de personnes mineures. Sa mère, Beatriz Ofelia de León, est, quant à elle, accusée d'avoir menacé l'employée de maison de la famille Barreda-Siekavizza qui se trouve être un témoin protégé du Ministère Public.
La famille de Cristina est soutenue dans sa quête de justice par la fondation Sobrevivientes, qui s'est constituée partie civile aux côtés du Ministère Public.
Le crime de féminicide au Guatemala
En 2008, le Guatemala a adopté une loi spéciale dans le cadre de l'application de la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes. Avec cette loi, la Ley contra el femicidio y otras formas de violencia contra la mujer (Loi contre le féminicide et autres formes de violence contre la femme), le Guatemala tente d'enrayer le phénomène de violence et de contrecarrer la discrimination dont sont victimes les femmes partout dans le pays. La création du crime de féminicide ainsi que les nombreuses dispositions criminalisant des comportements de violence dirigés spécifiquement contre les femmes ont pour but de reconnaître la gravité de ce phénomène, de punir plus sévèrement ces crimes, d'en dissuader la commission et de garantir aux femmes l'exercice de leurs droits fondamentaux. Cette loi marque une prise de conscience et une volonté de transformation de la société guatémaltèque afin d'en faire une société plus égalitaire. Son application fait toutefois face à de nombreux défis.
L'article 6 de la Loi contre le féminicide et autres formes de violences contre la femme du Guatemala, créé le crime de féminicide comme suit:
« Commet le crime de féminicide quiconque, dans le contexte de relations de pouvoir inégales entre homme et femme, inflige la mort à une femme, en raison de son genre, dans l'une des circonstances suivantes:
a. Après avoir tenté en vain d'établir ou de rétablir une relation de couple ou d'intimité avec la victime.
b. Entretenant au moment où l'acte a été commis, ou ayant entretenu avec la victime, des relations familiales, conjugales, de vie commune, d'intimité ou relation amoureuse, d'amitié, de camaraderie ou de relation de travail.
c. À la suite de manifestations de violence répétées contre la victime.
d. À la suite de rituels de groupe utilisant ou non des armes de toute sorte.
e. En méprisant le corps de la victime pour satisfaire des instincts sexuels, ou en commettant des actes de mutilation génitale ou toute autre type de mutilation.
f. Pour misogynie.
g. Lorsque l'acte a été commis en présence des filles ou des fils de la victime.
h. Réunissant une des circonstances de qualification visées à l'article 132 du Code criminel.
La personne responsable de ce crime sera punie d'un emprisonnement de vingt-cinq à cinquante ans, et ne pourra obtenir de réduction de peine pour aucun motif. Les personnes poursuivies pour la commission de ce crime ne pourront pas jouir de quelque mesure alternative que ce soit. » (1) (traduction libre)
(1) «Comete el delito de femicidio quien, en el marco de las relaciones desiguales de poder entre hombres y mujeres, diere muerte a una mujer, por su condición de mujer, valiéndose de cualquiera de las siguientes circunstancias:
a. Haber pretendido infructuosamente establecer o restablecer una relación de pareja o de Intimidad con la víctima.
b. Mantener en la época en que se perpetre el hecho, o haber mantenido con la víctima relaciones familiares, conyugales, de convivencia, de Intimidad o noviazgo, amistad, compañerismo o relación laboral.
c. Como resultado de la reiterada manifestación de violencia en contra de la víctima.
d. Como resultado de ritos grupales usando o no armas de cualquier tipo.
e. En menosprecio del cuerpo de la víctima para satisfacción de instintos sexuales, o cometiendo actos de mutilación genital o cualquier otro tipo de mutilación.
f. Por misoginia.
g. Cuando el hecho se cometa en presencia de las hijas o hijos de la víctima.
h. Concurriendo cualquiera de las circunstancias de calificación contempladas en el artículo 132 del Código Penal.
La persona responsable de este delito será sancionada con pena de prisión de veinticinco a cincuenta años, y no podrá concedérsele la reducción de la pena por ningún motivo. Las personas procesadas por la comisión de este delito no podrán gozar de ninguna medida sustitutiva.»