Blogue

L’auteure, Andrée-Anne Perrault-Girard, est conseillère juridique volontaire déployée au Honduras depuis juillet 2015 auprès de COFADEH (Comité de los familiares de Detenidos-Desaparecidos) dans le cadre du projet «Protection des enfants, femmes et autres collectivités vulnérables» mis en œuvre par Avocats sans frontières Canada (ASFC) et le Bureau international des droits des enfants (IBCR) grâce à l'appui financier du gouvernement du Canada accordé par l'entremise d'Affaires mondiales Canada.

Je suis arrivée au Honduras dans un contexte social et politique particulier. Avant de dédier plusieurs billets à l’aspect juridique du travail de coopérant avec Avocat sans frontières Canada [ASFC] je pense qu’il est d’abord nécessaire de faire le portrait du contexte actuel.

Depuis maintenant quatre mois, tous les vendredis, des milliers de Honduriens sortent dans les rues de la capitale, armés de torches. Par torches, je fais référence à ces longs bouts de bois surmontés d’une mèche et de gaz que plusieurs banlieusards du Québec utilisent pour éloigner les moustiques. Des groupes d’étudiants, d’activistes, des travailleurs, des fermiers, plusieurs acteurs politiques et sociaux se rassemblent à la tombée du jour pour entreprendre une marche sillonnant les rues de la ville. Maintenant surnommé «marchas de las Antorchas », le mouvement a pris de l’ampleur et se déroule aussi les samedis à San Pedro Sula, la capitale économique du pays, et les fins de semaine dans d’autres plus petites villes.

Le mouvement est né d’un scandale de corruption, à l’effet que des sommes importantes auraient été prélevées des caisses de l’Institut National de la Sécurité Sociale (IHSS)1 pour financer le Parti National du Honduras2 lors de la campagne électorale de 2013. À la suite de cet événement, la société civile se mobilise sans relâche depuis le mois de mai 2015 pour dénoncer la corruption au sein du pays. Les citoyens exigent en premier lieu la démission du président de la République, Juan Orlando Hernandez, et que soient intentées des poursuites judiciaires contre les plus hauts fonctionnaires impliqués dans le scandale de corruption de l’IHSS.

L’autre demande qui fait couler beaucoup d’encre dans le pays est l’établissement d’une Commission contre l’impunité au Honduras (CICIH)3 , à l’image de celle implantée au Guatemala et affiliée à l’ONU. Selon les plus récentes données, 95% des crimes commis au Honduras ne verraient jamais l’aboutissement d’une décision via le processus judiciaire. L’impunité généralisée existant au Honduras est un des facteurs expliquant que ce petit pays d’Amérique Centrale est un des pays les plus dangereux au monde.

La lutte contre l’impunité est un des objectifs principaux d’ASFC. Cela transparait par le travail de terrain effectué dans différents coins du globe, par exemple en Haïti avec son partenaire, le Collectif contre l’impunité, ou au Guatemala avec le procès de Rios Montt. Au Honduras, c’est donc une chance que de pouvoir appuyer COFADEH dans sa défense des victimes de graves violations des droits humains devant les instances nationales et internationales, luttant ainsi contre l’impunité endémique dans le pays.

D’un point de vue personnel, ce l’est encore plus de savoir que cette lutte contre l’impunité est aussi la priorité de plusieurs Honduriens et Honduriennes qui s’inquiètent des multiples violations des droits humains dans le pays et de l’absence poursuites judiciaires intentées contre les responsables. C’est ce que me rappelle chaque vendredi la lueur des torches de las Marchas de las Antorchas dans la ville : que notre travail quotidien vise un objectif excessivement important dans le contexte actuel et que l’impunité est malheureusement une norme dans certains pays comme le Honduras.

______________

1: L’organisme chapeautant les hôpitaux, cliniques et dispensaires publics

2: Parti constituant le gouvernement actuel, ayant comme président Juan Juan Orlando Hernandez

3: Comisión Contra la Impunidad en Honduras

---