
Ceci n’est pas une chronique juridique
Catégorie(s): Coopération volontaire, Pérou, 2015
L’auteure, Camille Provencher, est conseillère juridique volontaire déployée au Pérou depuis juillet dernier dans le cadre du projet «Protection des enfants, femmes et autres collectivités vulnérables» mis en œuvre par Avocats sans frontières Canada (ASFC) et le Bureau international des droits des enfants (IBCR) grâce à l'appui financier du gouvernement du Canada accordé par l'entremise d'Affaires mondiales Canada. Depuis le mois de juillet, elle réalise un mandat à Lima au sein de l’ONG Asociación Pro Derechos Humanos (APRODEH).
Réaliser un mandat de coopération volontaire pour ASFC ne consiste pas seulement à aller travailler comme conseiller(ère) juridique à l’étranger, cela implique aussi d’aller vivre dans un autre pays, pour une période plus ou moins longue, généralement d’un minimum de six mois. Vous vous demandez peut-être ce que signifie aller vivre dans un autre pays? Les réponses pourraient être aussi variées qu’il y a de volontaires et de pays d’accueil. Je vous livre donc ma réflexion purement personnelle sur le sujet. Je le dis d’emblée : ma relation avec le Pérou a commencé bien avant le début de mon mandat avec ASFC en juillet dernier. Par contre, il s’agit de ma première expérience professionnelle à Lima. Disons donc que la réflexion qui suit est issue d’un mélange de mes séjours antérieurs et de la réalité qui est la mienne depuis que je travaille chez APRODEH.
Pour aider le monde…
Vu les besoins des associations partenaires d’ASFC, on s’attend évidemment à ce que ceux qui participent aux missions consacrent un nombre d’heures important à leur travail sur le terrain. Cependant, je suis d’avis qu’il est primordial de ne pas se limiter à une routine boulot-dodo, et de plutôt prendre l’habitude de se sortir la tête des dossiers sur une base régulière. Cela aide à garder un certain équilibre pendant notre séjour à l’étranger, ce qui n’est pas toujours chose facile. En effet, l’éloignement et les épisodes de choc culturel peuvent nous faire vivre des montages russes d’émotions. Par ailleurs, la nature des dossiers pour lesquels les représentants d’ASFC peuvent être amenés à offrir leurs services est souvent assez dure. Pour ma part, je travaille continuellement sur des cas de torture, d’exécutions extra-judiciaires, de disparitions forcées, etc. Savoir se changer les idées est vital.
Une soirée entre amis sur ma terrasse (crédit photo : Servane Tarot)
Un autre aspect important à prendre en compte lorsqu’un séjour outremer s’inscrit dans le cadre d’un mandat de coopération volontaire est la nécessité de démontrer un intérêt qui va au-delà dudit mandat. En effet, pour que l’expérience soit bénéfique pour tous et ait un impact ancré dans le long terme, s’atteler à comprendre cette société qui nous accueille n’est pas une option; il faut carrément considérer que cela fait partie de nos tâches. Dans L’escalier, Paul Piché chante que « pour aider le monde, faut savoir être aimé ». J’ajouterais que pour aider le monde, il faut aussi savoir l’aimer. Autrement dit, pour qu’une relation de coopération soit réellement profonde et durable, il est essentiel de dépasser notre vision de pur touriste et tenter autant que possible développer un certain attachement pour ce pays où l’on s’établit temporairement, créer des liens, planter de petites racines.
Randonnée au Bosque de Piedras de Cumbemayo
Le quotidien
Chacun aura sa façon de « se construire une vie » à l’extérieur du travail pendant la durée de sa mission, en fonction de ses intérêts et des opportunités offertes par son milieu, ainsi que des mesures de sécurités à respecter. Dans un pays comme le Pérou – et c’est encore plus vrai à Lima – ce ne sont pas les activités à bas coûts, ou même gratuites, qui manquent. Pour certains ce sera le surf, la cuisine – la cuisine péruvienne est d’une variété et d’une richesse incomparables –, les musées, la musique, etc. À de courtes distances de Lima, il est aussi possible d’accéder à un grand nombre de sites archéologiques et de routes de « trekking ». Chacun son dada. De mon côté, je ne me lasse pas de déguster les différents plats traditionnels du Pérou et j’ai souvent pu apprécier ses magnifique paysages lors de randonnées aux quatre coins du pays. Mon penchant naturel pour les arts de la scène m’ont également amenée à le découvrir à travers le regard de ses artistes, que ce soit en assistant à des pièces de théâtre, des ballets, des concerts de musique, des soirées de chansonniers, des spectacles de cirque et de poésie, ou encore en suivant moi-même des ateliers de théâtre et de danse.
Avec une dame qui vend du Atelier de théâtre
jus d'orange frais pressé (crédit photo : Sol Valera)
(crédit photo : Philippe Cordisco)
Outre ces activités occasionnelles, la beauté de vivre un certain temps dans un autre pays réside selon moi dans le quotidien qu’on se crée peu à peu. C’est le plaisir, après quelques mois, de regarder en arrière et se rappeler ses impressions à son arrivée, à la vue du décor, du nom des rues, des premiers sons, odeurs et goûts qui, tranquillement deviennent familiers. C’est échanger un sourire avec la dame de la petite épicerie du coin de la rue quand vous la croisez dans le quartier ou envoyer la main au marchand de légumes en passant devant son kiosque. Le personnage de Xavier, dans L’Auberge espagnole, lors de ses premiers pas à Barcelone où il vivra pendant un an, exprime parfaitement le sentiment que l’on ressent en se construisant peu à peu son quotidien et ses repères dans un nouveau milieu : « Quand on arrive dans une ville, on voit des rues en perspective, des suite de bâtiments vides de sens, tout est inconnu, vierge. Voilà, plus tard on aura habité cette ville, on aura marché dans ses rues, on aura été au bout des perspectives, on aura connu ses bâtiments, on aura vécu des histoires avec des gens. » Ce sentiment est souvent le plus difficile à partager lors du retour chez soi, mais c’est un des plus forts, je crois.
Défis et souvenirs
Aller vivre dans un autre pays, et surtout dans un pays « en développement », ce n’est pas toujours rose. C’est être choqué, souvent, ou baigner parfois dans l’incompréhension la plus totale. C’est aiguiser sa patience et, presque immanquablement au début, payer l’exotisme culinaire au prix de douloureux désordres digestifs. C’est aussi constamment se remettre en question et avoir les émotions à fleur de peau. C’est bien sûr découvrir un autre pays, une autre culture et une autre langue. C’est également se découvrir soi-même, pour le meilleur et pour le pire! C’est poser un regard plus juste sur son chez-soi. Observer le Québec de loin, à travers un prisme différent, me permet de voir plus clairement ses forces et ses faiblesses. Penser en espagnol, intégrer peu à peu les connotations du vocabulaire de tous les jours et adopter certaines expressions qui ne se traduisent pas exactement en français m’amène à développer une compréhension encore plus fine de ma propre langue et en apprécier davantage sa richesse, tout en prenant conscience des réalités qu’elle ne peut nommer.
Le fameux "ceviche", plat typique de la côte péruvienne
(crédit photo : Servane Tarot)
En somme, réaliser un mandat de coopération à l’étranger n’est pas seulement une façon d’enrichir notre bagage professionnel. C’est également une expérience de vie qui nous permet de repartir avec une valise à souvenirs bien remplie. Quand je penserai à Lima lorsque je n’y habiterai plus, je penserai à l’odeur de la mer les matins d’été, aux couchers de soleil mauves et rouges appréciés depuis ma terrasse pendant la belle saison, aux délicieux ceviches dégustés en bonne compagnie avec une bière froide, aux rencontres marquantes, parfois éphémères mais bien moins que celles qu’on fait lors de voyages sac au dos. Je penserai au goût du jus d’orange frais pressé acheté pour quelques sous sur le coin de la rue du centre-ville en me rendant au travail ou au savoureux fromage de chèvre acheté au souriant « monsieur-du-fromage » de la bioferia du dimanche. Évidemment, je me rappellerai du bruit qu’on ne peut jamais vraiment fuir, de la pollution qui étouffe nos pores de peau, du trafic à toute heure du jour, des sifflements et commentaires déplacés prononcés par des inconnus sur mon chemin, de l’hiver liménien aux allures d’un long mois de novembre qui n’en finit pas. Mais comme avec le temps les souvenirs les plus doux tendent à atténuer les plus désagréables, je sais bien que c’est avec nostalgie que je repenserai à Lima, qui sera devenue, au fil des mois, un autre « chez-moi ».