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Peur et ténacité : la dualité quotidienne des victimes de graves violations des droits humains

Catégorie(s): Coopération volontaire, Groupes en situation de vulnérabilité, Peuples autochtones, Guatemala, 2017

Sarah Bourgeois-Lessard est conseillère juridique volontaire déployée au Guatemala dans le cadre du projet Protection des droits des enfants, femmes et autres collectivités vulnérables (PRODEF) mis en œuvre par Avocats sans frontières Canada (ASFC) et le Bureau international des droits des enfants (IBCR). Elle agit depuis le 22 mai dernier au sein de l’organisation partenaire Centro para la acción legal en derechos humanos (CALDH).

Cela fait maintenant trois mois que je suis au Guatemala. Trois mois que j’ai l’opportunité incroyable de travailler en matière de défense des droits humains, et trois mois que je m’attelle à comprendre le contexte historique et politique, ainsi que le système juridique du pays pour venir en appui à l’organisation partenaire d’Avocats sans frontières Canada au sein de laquelle je travaille, le Centre pour l’Action légale en droits humains (ci-après CALDH).

Dans le cadre de mon mandat, j’ai notamment l’occasion de me déplacer dans le pays avec l’équipe juridique du CALDH pour aller rencontrer des communautés affectées par de graves violations des droits humains. Ces rencontres servent, entres autres, à informer les victimes des avancées des dossiers, de même que recueillir directement des éléments de preuve, dont des témoignages. Il s’agit pour moi d’occasions uniques d’entrer en contact directement avec ces personnes.

Proches de victimes et avocats regroupés devant la Cour constitutionnelle du Guatemala

Des communautés fortes et vulnérables à la fois

À l’occasion de ces déplacements, j’ai été frappée par une dualité ; la peur et la ténacité des victimes et de leurs proches. D’abord, conséquence directe du fait de la guerre civile au Guatemala qui a duré 36 ans, je constate que les gens ont une peur généralisée de parler de ce qu’ils savent et de ce qu’ils ont vécu, contribuant ainsi au maintien de l’impunité qui demeure très élevée au pays.

Cette crainte se justifie à la fois par un manque de confiance envers leurs interlocuteurs, le système juridique et les forces policières, de même que par une peur de représailles. Évidemment, parler implique également de raviver leur douleur en les replongeant dans des souvenirs de violence extrême.

J’ai aussi été profondément marquée par la ténacité des victimes et des familles des disparus. Ces derniers font preuve d’une incroyable persévérance en se battant pour que justice leur soit rendue. Dans certains cas, les évènements sont survenus il y a plus de 30 ans.

Une dualité bien présente

Lors d’une récente rencontre avec des témoins du cas Creompaz, dossier massif de disparitions forcées actuellement devant les tribunaux guatémaltèques, plusieurs ont démontré à la fois cette peur et cette ténacité.

Par exemple, certains ont fait part de leurs inquiétudes concernant la présence de militaires dans leur communauté. Néanmoins, ils ont également affirmé qu’il était important de poursuivre le processus judiciaire puisqu’ils obtiendraient justice et ne seraient libérés que lorsqu’ils pourront s’exprimer devant un juge.

De ce fait, je note que ces rencontres sont aussi pour eux des moments privilégiés pour échanger, se réconforter et se motiver à poursuivre la bataille juridique.

Témoins du cas Creompaz réunis lors d’une rencontre avec le CALDH et le Ministère public

Même son de cloche lors de la commémoration annuelle du massacre de la communauté de Plan de Sánchez. Ce village, tristement célèbre pour avoir été le théâtre de graves violations de droits humains en 1982, est toujours en attente de la mise en place par l’État guatémaltèque des mesures de réparations ordonnées par la Cour interaméricaine des droits de l’Homme en 2004. Patients, ils espèrent encore recevoir leur dû et ont mis sur pieds une assemblée responsable d’assurer un suivi de l’application de ces mesures.

Réunion des membres de l’Assemblée de Plan de Sánchez

Je ne peux donc qu’admirer le courage dont font preuve ces personnes de même que le travail qu’effectue le CALDH auprès d’eux. Ce dernier permet à leurs voix d’être entendues pour faire valoir leurs droits, ce qui, ici au Guatemala, constitue encore un véritable défi.