Blog

Retour au blogue

« N'te bamanankan mèn » ou De l’importance universelle et intemporelle des questions linguistiques

Catégorie(s): Human rights, Women’s rights, Gender-based violence, , 2017

Constance Naud-Arcand est conseillère juridique volontaire au Mali depuis janvier 2017 dans le cadre du projet « Justice, prévention et réconciliation pour les femmes, mineurs et autres personnes affectées par la crise au Mali » (JUPREC). Grâce à l'appui financier d'Affaires mondiales Canada, le projet est mis en œuvre par Avocats sans frontières Canada (ASFC), en consortium avec le Centre d’étude et de coopération internationale (CECI) et l’École nationale d'administration publique (ENAP).

Lorsque j’ai appris que j’allais partir au Mali avec Avocats sans frontières Canada (ASFC), plusieurs pensées se sont succédé dans ma tête. Outre les questionnements et les joies précédant n’importe quel départ, j’ai constaté que j’étais vraiment contente d'avoir la chance de contribuer à un projet en faisant un grand usage de ma langue maternelle, le français. C’est en effet quelque chose que mes expériences professionnelles récentes m’ont moins donné l’occasion de faire.

Or, une fois rendue au Mali, j’ai bien vite réalisé que j’avais été un peu naïve. Un peu? Un peu, beaucoup, oui! S’il est vrai que, dans le cadre de mon mandat, je communique essentiellement en français, la place de celui-ci au Mali est en effet toute relative.

Que ce soit dans la rue ou dans les événements, les Bamakois semblent surtout parler bambara entre eux. Je dis « semblent », parce que je ne suis malheureusement pas en mesure de distinguer le bambara des très nombreuses langues parlées au Mali. En tout cas, les statistiques indiquent que la langue parlée la plus utilisée au Mali serait le bambara (par +/- 50% de la population) et qu’environ 20% seulement de la population malienne parlerait le français. Résultat : aller acheter des légumes, même à Bamako, est susceptible de donner lieu à des malentendus souvent cocasses.

Qui plus est, même avec plusieurs expériences à l’étranger à mon actif, je n’avais pas saisi, avant de mettre les pieds à Bamako, à quel point les considérations linguistiques pouvaient poser des défis pour un projet comme « Justice, prévention et réconciliation pour les femmes, mineurs et autres victimes de la crise au Mali » (JUPREC).

Prenons, par exemple, les activités de discussion, de vulgarisation et de sensibilisation réalisées par les organisations non gouvernementales partenaires du projet dans plusieurs régions du Mali. Comme les thèmes de ces activités ont souvent un lien avec la violence basée sur le genre, la corruption ou la justice transitionnelle, cela implique que les facilitateurs de ces activités doivent être en mesure de vulgariser en plusieurs langues, comme par exemple le bambara, le peul ou le songhay, des concepts juridiques parfois très techniques. Cette problématique me semble donc bien réelle.

Lors d'un forum sur les violences sexuelles (Bamako, février 2017)

Bref, à mes collègues et amis maliens, je dis « yafa ne ma » (à défaut de savoir dire plus convenablement « pardonnez-moi »!) parce qu’en raison des mille choses à faire en début de mandat, je n’ai pas mis autant d’efforts que je l’aurais souhaité à pratiquer mon bambara.

Mais le fait d’entendre à quelques reprises des individus revendiquer afin qu’on fasse une plus grande place, au sein des institutions maliennes, aux langues nationales autres que la langue officielle, le français, m’a certainement sensibilisée de nouveau à l'importance de la question.

Autant de considérations qui nous rappellent l’importance universelle et intemporelle des questions linguistiques.