À quoi peut ressembler la coopération volontaire en période électorale au Pérou?
Catégorie(s): Coopération volontaire, Droits des enfants, Droits humains, Pérou, 2016
Le vent électoral a balayé le Pérou et c’est avec effervescence que la population s’est préparée à élire un nouveau Président, les 10 avril (au premier tour) et 5 juin (au deuxième tour) 2016. Des murailles tapissées des noms des candidats, des affiches géantes partout dans les villes, des parades, mais aussi des manifestations contre des candidats… car si beaucoup ont vu avec espoir les élections comme un vecteur du changement, plus d’un ont redouté l’ascension au pouvoir de certains candidats. Tous ont eu quelque chose à dire sur le sujet et ce n’était possiblement pas étranger au fait que d’une manière ou d’une autre, les Péruviens n’ont pas le choix de se déplacer aux urnes le jour J, le vote étant obligatoire sous peine d’une amende salée.
Bref, pour une coopérante volontaire comme moi, il n’y a pas à dire que c’était une expérience fascinante et que je me suis sentie plonger au cœur des convictions profondes qui animent les femmes et les hommes de ce pays en plein essor. Conséquemment, ce contexte a donné le ton à une partie considérable de mon mandat. En effet, agissant comme conseillère juridique au sein d’une organisation de la société civile, beaucoup des tâches que j’ai été appelée à réaliser étaient de près ou de loin reliées aux élections.
Entre autres choses, l’organisation pour laquelle j'ai travaillé, IPRODES (Instituto Promoviendo Desarrollo Social, http://www.iprodes.net/) s’est jointe à la campagne Buen Trato para la Niñez lancée par le Collectif Todos con la Infancia, composée notamment de plusieurs institutions, organisations et réseaux locaux. Cette campagne nationale avait comme objectif l'obtention d'engagements de la part des aspirants aux charges publiques relativement à une multitude d’objectifs spécifiques en matière de protection des droits de l’enfant. Dans le cadre de cette campagne, plusieurs activités ont été organisées. Pour ma part, j'ai eu l'occasion de m'impliquer dans le processus d'une consultation nationale sur les droits de l'enfant. Cette activité était destinée à sonder la population liménienne quant aux questions prioritaires en la matière. Pour ce faire, nous sommes allés au Parque Kennedy, un endroit très achalandé de Lima, et nous avons organisé une simulation de vote non partisane sur les droits de l'enfant. Les gens devaient inscrire sur un bout de papier les trois droits qu'ils considéraient comme les plus importants et les déposer dans une boîte. Le but de cet exercice était de pouvoir formuler des propositions pour les candidats en prenant en compte les questions qui, selon l'opinion populaire, méritent le plus d'attention. Cette simulation de vote avait également préalablement été effectuée dans d'autres villes, afin d'obtenir un portrait global des préoccupations des Péruviens sur le sujet. Au total, 731 044 votes ont été comptabilisés à travers le pays.
Le 11 mars dernier, la Mesa de Concertación para la Lucha contra la Pobreza, l'organisation en charge de la consultation nationale, a présenté publiquement les résultats de cette dernière. Il se trouve qu'aux yeux des Péruviens, les droits auxquels il faut accorder une plus grande importance sont le droit à la santé, qui comprend en particulier l'assurance santé, la vaccination intégrale, la réduction de la mort maternelle et de la grossesse chez les adolescentes (19,4%), le droit à l'éducation (18,5%), le droit à la nutrition (17.9%), le droit à la protection contre la violence (13.2%), le droit à l'identité, c'est-à-dire que tous les enfants aient un document national d'identité (9.2%), le droit de l'enfant de vivre avec protection et affection au sein du milieu familial (9,0%), le droit à la protection contre toute forme d'exploitation (8,7%), le droit à l'opinion et à la participation (3,9%) et finalement autres, 0,2%. Je vous invite à prendre connaissance des résultats complets de la consultation, dont la version est disponible en espagnol: /documents/file/resultats-consultation-perou.pdf
Personnellement, j'aime bien discuter avec les nombreux taxistas que j'ai croisés et je me suis aperçue que ces résultats étaient tout à fait compatibles avec ce que j'ai retenu de mes conversations avec ces derniers. J'ajouterais qu'outre la gratuité de l'éducation primaire et secondaire, la qualité de l'éducation elle-même reçue par les enfants est davantage au centre des préoccupations. Les Péruviens sont d'avis que le cursus scolaire doit être uniformisé, qu'un enseignement avec transmission de valeurs doit être prodigué et que le système actuel ne permet pas une attention adéquate pour les enfants avec difficultés d'apprentissage ou handicaps.
Sur le plan de la protection des enfants contre la violence, le Pérou a tout de même connu une grande avancée en 2015 avec l'adoption d'une loi prohibant l'emploi du châtiment corporel par les parents dans l'éducation de leurs enfants. Il demeure tout de même que la violence familiale est un problème réel et que, selon les dernières études, le foyer familial constitue l'un des lieux les plus dangereux pour les enfants s'il ne s'agit pas même de la première menace à la sécurité des enfants. Beaucoup de travail doit être fait de ce côté-là, non seulement pour que la loi soit implémentée de manière efficace mais aussi pour que les mentalités changent et que les enfants, tout comme les parents, connaissent les droits en jeu et leur portée.
Quelle a été l'étape suivante?
Les résultats en main, il a fallu soumettre des propositions aux candidats des élections et obtenir des engagements de leur part. Le processus d'élaboration de proposition a été long et a nécessité une laborieuse période de concertation au sein de la société civile. Au cours des quelques réunions auxquelles j'ai eu la chance d'assister, il fallait notamment évaluer le réalisme de chaque proposition, la manière dont elles pourraient être implémentées et quels seraient les meilleurs indicateurs pour jauger du succès de leur mise en œuvre.
La prochaine étape a donc été d'organiser des séances de signature avec les candidats afin d'officialiser leur engagement. Il s'agissait bien sûr d'un acte symbolique, mais ce geste a pu influencer des électeurs indécis ou encore charmer ceux qui ont la cause des enfants à cœur.
En somme, m'impliquer au sein de ce Collectif en période électorale a été très instructif. Dans ce contexte, notre travail joue un rôle important, car nous nous trouvons face à des oreilles plus attentives et des gens en soif de changement. C'est le moment idéal pour sensibiliser la population et les membres du Gouvernement à la cause des enfants en proposant des idées et des pistes de solution concrètes. J'ai aussi pu comprendre le fonctionnement de beaucoup d'institutions péruviennes et j'ai pu saisir davantage les valeurs qui gouvernent les mentalités de ce pays.
J'avais bien entendu mes candidats favoris et je suis quand même un peu déçue de ne pas avoir pu voter, mais c'est avec grande attention que je surveille l'issue de ces élections, dont les résultats devraient être officiels en fin de semaine.