Chocó : entre crise humanitaire et résistance civile
Catégorie(s): Coopération volontaire, Groupes en situation de vulnérabilité, Colombie, 2017
Isabelle Boisvert-Chastenay est conseillère juridique volontaire déployée en Colombie dans le cadre du projet Protection des droits des enfants, femmes et autres collectivités vulnérables (PRODEF) mis en œuvre par Avocats sans frontières Canada (ASFC) et le Bureau international des droits des enfants (IBCR). Elle agit depuis le 1er juin dernier au sein de l’organisation partenaire Corporación Humanas – Centro Regional de Derechos Humanos y Justicia de Género.
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Le département du Chocó est situé sur la côte pacifique du pays et est reconnu pour sa diversité ethnique et culturelle de même que pour sa biodiversité unique et ses ressources naturelles.
La majorité des habitants du Chocó est composée d'Afrocolombiens (environ 80%) ou d'Autochtones (environ 15%). Au niveau national, le département est tristement reconnu pour être celui qui affiche les taux les plus élevés de chômage, de pauvreté, de nécessités de base insatisfaites et de problèmes de santé, entre autres. La situation actuelle a d'ailleurs été qualifiée de crise humanitaire par certaines organisations internationales, dont Human Rights Watch.
Un contexte politique difficile
La présence des acteurs du conflit armé colombien, tels que les paramilitaires et les groupes armés illégaux comme le groupe Éjercito de Liberacion Nacional (ELN), rende la sécurité de la population précaire et ont occasionné plusieurs violations des droits de l'homme au cours des années, particulièrement en termes de déplacement forcé et de massacres.
Il importe également de souligner qu’en raison des ressources naturelles et surtout minérales du département, la dernière décennie a été caractérisée par l’augmentation d’activités minières illégales non réglementées par le gouvernement où abondent les cas d’exploitation sexuelle, de délinquance et de divers actes de violence, en plus de causer la contamination du sol et des cours d’eau à cause de l’utilisation massive de mercure.
Un projet stimulant qui donne une voix aux femmes
En juillet et août 2017, j’ai eu la chance de participer à deux missions dans le département du Chocó avec la Corporación Humanas. Le projet vise la formation de quarante (40) femmes victimes de violence dans le cadre du conflit armé, ainsi qu’en dehors de ce contexte, réparties entre les municipalités d’Istmina et de Quibdó.
Photo : Murale dans la salle de formation a Quibdó, Chocó
Deux rapports et des documentaires seront produits lors du projet afin de mettre en lumière la situation des femmes dans le département et de documenter leurs cas.
Étant donné la difficulté d’accès à plusieurs régions du département et l’absence de présence gouvernementale, le peu de documents qui contiennent des informations sur la situation des femmes chocoanas sont incomplets et ne reflètent pas la réalité.
En effet, bien que le département soit tristement reconnu au niveau national pour être celui qui affiche les taux les plus élevés de chômage, de pauvreté et de problèmes liés à la crise du système de santé et bien que tous les acteurs armés aient contrôlé son territoire – ou le contrôlent toujours -, les données sur le nombre de cas de violations des droits humains sont inexactes ou inexistantes, d’où l’importance de documenter la situation directement par le biais de rencontres avec les organisations de défense des droits des femmes sur le terrain, les institutions et les femmes participant au projet.
Photo : Istmina
Ainsi, les rapports produits dans le cadre de ce mandat constitueront des outils importants afin de mettre en lumière les conditions de vie des femmes chocoanas, en plus de servir de levier aux actions politiques et sociales des organisations de la société civile présentes dans la région.
Des missions bien au-delà de la collecte d’informations
Le but de la première mission sur le terrain était de connaître les besoins et les nécessités des femmes en matière de formation sur leurs droits et de renforcer de leurs capacités en matière d’actions politiques, et ce, de sorte que les activités prévues au projet soient réellement adaptées à leur réalité. Aussi, des groupes de discussion ont été organisés afin de commencer la documentation du contexte sociopolitique du département.
La deuxième mission avait, quant à elle, comme objectif la formation des femmes en matière de violence basée sur le genre, de reconnaissance des divers types de violence que vivent ces dernières, ainsi que sur les divers services et organismes responsables de répondre à ces actes de violence.
Photo : Centre-ville d'Istmina, Chocó
Les groupes de discussion ont donc permis de mettre en lumière les divers problèmes et défis auxquels fait face le département pour atteindre une croissance économique et une sécurité sociale pour ses habitants.
Plus particulièrement, la situation des femmes est caractérisée par de multiples actes de violence de la part des acteurs du conflit armé, bien que ce dernier n'ait pas créé mais accru la violence qui a toujours existé envers les femmes dans ce département. Ces dernières ont souligné la gravité et la constance des actes de violence contre les femmes exercée par un partenaire ou un membre de la famille.
Malgré tout, l’organisation des femmes, leur connaissance en matière des droits humains, ainsi que leur résilience face à la situation et leur désir de suivre des formations, pas seulement pour elles-mêmes, mais pour aider les jeunes femmes et les filles du département, sont impressionnants et émouvants.
Malgré la difficile situation vécue par les participantes, celles-ci sont résolues à lutter pour l’exigibilité de leurs droits et c’est un honneur pour moi de pouvoir contribuer au développement de ce projet.