L’envers du décor
Catégorie(s): Coopération volontaire, Droits humains, Honduras, 2015
L’auteure, Andrée-Anne Perrault-Girard, est conseillère juridique volontaire déployée au Honduras depuis juillet 2015 auprès de COFADEH (Comité de los familiares de Detenidos-Desaparecidos) dans le cadre du projet «Protection des enfants, femmes et autres collectivités vulnérables» mis en œuvre par Avocats sans frontières Canada (ASFC) et le Bureau international des droits des enfants (IBCR) grâce à l'appui financier du gouvernement du Canada accordé par l'entremise d'Affaires mondiales Canada.
Les cas perdus sont une réalité plus que commune dans le métier d’avocat ou de juriste. Malgré tout le détachement dont peut faire preuve un professionnel vis-à-vis de son métier, les cas ayant pris le plus de temps et de «jus de cerveau», ceux ayant les victimes les plus attachantes ou les enjeux les plus importants, sont souvent ceux qui font le plus mal à perdre.
Les pieds dans le sable, à l’ombre d’un cocotier, je réfléchissais à quoi j’occupais mes journées de semaine, et de fin de semaine, depuis les trois derniers mois. Je me remémorais mes lectures sur les crimes que je considérais comme des crimes contre l’humanité perpétrés en sol hondurien. Je repensais aux faits les plus sanglants, les recours possibles, le manque de réponse de l’État; je prononçais des mots tels qu’impunité, « plus hauts responsables » et Cour pénale internationale.
Quelques heures plus tard, alors que les cocotiers laissèrent place aux forêts et aux vallons, le choc : «La procureure de la Cour pénale internationale [CPI], Fatou Bensouda, annonce la fermeture des cas sur le Honduras. Bien sûr, les journaux locaux ont leur manière bien à eux de diffuser l’information.
Le résultat s’avéra toutefois le même :« À la suite d'une analyse minutieuse sur les plans juridique et factuel des informations disponibles, [la procureure de la CPI] estime qu’à ce stade, les critères juridiques définis par le Statut de Rome afin d'obtenir l'autorisation des Juges de la Cour pénale internationale d'ouvrir une enquête sur la situation au Honduras ne sont pas rencontrées. »
Descente du rideau. FIN.
Entre les années 2009 et 2012, les organismes de défense des droits humains, dont le Comité de las familiares de detenidos y desaparecidos (COFADEH), ont présenté au Bureau du procureur plus d’une trentaine de communications relatant les crimes graves dont ont été victimes certains groupes de la population civile hondurienne. En novembre 2010, le procureur de la CPI annonça l’ouverture de l’examen préliminaire sur la situation du Honduras.
L’enquête porta alors sur trois situations spécifiques : (1) les crimes commis pendant le coup d’État, (2) les crimes post coup d’État et (3) ceux commis dans la région appelée le Bajo Aguan. Les deux premières situations recensent des cas de disparition forcée, d’homicide, de torture, de violences sexuelles et de détention arbitraire et illégale visant principalement des opposants politiques et des journalistes. Le cas du Bajo Aguan quant à lui est plus complexe, mais vise principalement des cas de torture et d’homicide envers des fermiers et des défenseurs du droit à la terre.
Depuis mon arrivée il y a de cela trois mois, je m’évertue avec une collègue de COFADEH à rassembler l’information nécessaire pour bâtir un dossier suffisamment étayé de façon à donner suite aux procédures devant la CPI. Nous avons d’abord dû faire face à un problème de taille : le choc culturel. En effet, à plusieurs reprises certains cas de violations des droits humains qui étaient importants pour ma collègue ne remplissaient
malheureusement pas les critères juridiques pour constituer des crimes contre l’humanité. Je ne comprenais pas encore l’ensemble du contexte politique et social du coup d’État et ses conséquences alors que ma collègue nageait dans cela depuis si longtemps qu’il lui arrivait de manquer de distance face aux faits en cause. Par la suite, nous avons dû fouiller et synthétiser des centaines de sources pour appuyer chacun des cas. L’absence d’enquête au Honduras nous empêchant de nous référer simplement aux dossiers judiciaires, nous devions nous tourner vers des sources alternatives d’informations telles que les communiqués d’autres ONG, les rapports d’organismes internationaux, etc. Enfin, notre plus grande difficulté fut de rattacher les crimes aux plus hauts responsables. Sans enquête, sans procédures judiciaires et vu l’impunité qui règne dans le pays, cet aspect était le plus ardu. Il est à noter que vu le niveau élevée de violence et de crimes violents au Honduras, beaucoup d’attentats politiques passent facilement sur les épaules de crimes de droit commun, doublant la difficulté de la tâche.
Une fois ces obstacles surmontés et le dossier terminé, je suis partie en vacances éreintée mais satisfaite. Ma collègue, tout aussi exténuée, partait alors pour la Cour interaméricaine des droits de l’Homme à Washington, où encore plus de travail l’attendait.
C’est sur ce point que j’aimerais insister. Ce n’est pas mon pays, je n’ai pas fondé l’organisation pour laquelle je travaille, ce n’est pas ma lutte, je n’ai pas connu personnellement ces victimes, et malgré tout, malgré le fait que ça ne fait que trois mois que je vis dans le pays et que je m’implique à 100% dans mon travail, cette nouvelle m’a atterrée. Alors comment quelqu’un qui a dédié sa vie à défendre une cause peut-il prendre cette nouvelle? Simplement comme une autre occasion de retrousser ses manches? Comment quelqu’un travaillant plus de 6 jours par semaine, mettant sa vie en danger pour représenter des victimes devant les organismes nationaux où ils n’ont généralement peu ou pas de succès, peut essuyer un tel refus de la part d’institutions internationales?
C’est en respect pour ma collègue que je dois reconnaître que la défense des droits humains n’a rien de "glamour". C’est une branche du droit passionnante et motivante, mais excessivement lente et avec son lot de déceptions. Elle ne lira jamais ces lignes puisque même si je les traduisais, elle serait trop humble pour accepter le compliment, mais je tenais à exprimer mon respect inconditionnel pour ma collègue, les membres de COFADEH et les défenseurs des droits humains au Honduras.
Le 30 octobre dernier, tous les membres des organisations de défense des droits humains du Honduras ont été invités à une conférence de presse du procureur de la CPI dans un hôtel du centre-ville de Tegucigalpa. Un total de dix-sept (17) différentes organisations représentant la société civile se sont présentées au lieu et à l’heure dite. En signe de protestation, elles se sont toutefois regroupées dans la salle adjacente à celle occupée par les membres de la CPI et ont tenu leur propre table ronde sur les suites des procédures à entamer.
Sans nécessairement approuver cette façon de faire, je dois avouer que malgré les déceptions que peuvent entraîner le travail de coopérant, on ne s’ennuie jamais. Surtout pas au Honduras.