Présentation du rapport d'ASFC sur l'observation de 15 enquêtes et poursuites pénales en Colombie : une rencontre inspirante entre des victimes et les juristes de demain à Bucaramanga
Catégorie(s): Coopération volontaire, Droits humains, Colombie, 2016
L’auteure, Me Stelsie Angers, est conseillère juridique volontaire déployée en Colombie dans le cadre du projet «Protection des enfants, femmes et autres collectivités vulnérables» mis en œuvre par Avocats sans frontières Canada (ASFC) et le Bureau international des droits des enfants (IBCR) grâce à l'appui financier du gouvernement du Canada accordé par l'entremise d'Affaires mondiales Canada.
Le 19 mai dernier, à Bucaramanga, capitale du département de Santander (nord-est), j’ai eu la chance d’organiser et de participer avec mes collègues Simon Crabb, coordinateur d’ASFC en Colombie, et Felipe Peña, conseiller juridique volontaire, à la présentation du dernier rapport élaboré et produit par notre équipe. Ce rapport est le résultat de plus de deux ans d’observation de 15 enquêtes et poursuites pénales portant sur des allégations de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre, dont des cas de violence sexuelle, d’exécutions extrajudiciaires, de torture et de déplacement forcé. Il présente une analyse des procédures judiciaires à la lumière du principe de complémentarité émanant du Statut de Rome de la Cour pénale internationale (CPI).
Cette étude a été réalisée dans le cadre du projet « Renforcement du Statut de Rome en Colombie », qu’ASFC met en œuvre conjointement avec le bureau d’Avocats sans frontières à Bruxelles. Partant des conclusions du rapport intérimaire du Bureau du Procureur de la CPI de novembre 2012 sur la situation de la Colombie, l’équipe d’ASFC, en collaboration avec ses partenaires, a sélectionné dès 2013 certains dossiers emblématiques dans l’espoir qu’au terme de la période d’observation, elle serait en mesure de formuler des recommandations de nature à contribuer à l’amélioration de l’accès à la justice des victimes de crimes internationaux. Pour réaliser cette analyse, ASFC a compté sur la participation de trois avocates et d’un avocat défenseur-e-s des droits humains et représentant-e-s de victimes dans les dossiers sélectionnés, ainsi que sur la participation des victimes par l’entremise d’entrevues et d’ateliers de formation.
Pour cette activité publique organisée avec l’appui de l’organisation « Equipo juridico Pueblos » et la Faculté de droit et de sciences politiques de l’Université industrielle de Santander (UIS), nous avons pu compter sur la présence de certaines victimes et leurs familles ainsi que des membres de la communauté universitaire, principalement des étudiant-e-s en droit. Cet évènement, qui a réuni plus de 60 personnes, a non seulement permis aux victimes de prendre la parole afin de s’exprimer sur les obstacles rencontrés dans leur lutte pour la justice, la vérité et l’accès à une procédure judiciaire juste et équitable, mais a aussi permis aux étudiant-e-s de se sensibiliser et de comprendre l’ampleur des enjeux en terme de justice et du respect des droits des victimes, notamment dans le contexte actuel des négociations de paix en Colombie. Pour reprendre les mots d’une étudiante en droit de dernière année, cet échange a permis de faire des liens concrets entre ce qu’ils apprennent dans leurs cours et les livres et une réalité douloureuse qui touchent beaucoup de Colombiens et Colombiennes. Cette prise de conscience est d’autant plus importante pour les futurs juristes qui auront à jouer un rôle central et primordial afin d’assurer le respect des droits des victimes dans l’application des mécanismes de justice transitionnelle.
La famille Muñoz, qui a participé a l’évènement, a présenté les différents obstacles vécus dans le cadre du procès pour le meurtre de Vinicio Muñoz, humble fermier exécuté selon la pratique bien connue en Colombie que sont les « faux positifs », c’est-à-dire des civils assassinés par des soldats désireux de les présenter à leurs supérieurs comme des ennemis tués au combat dans le but de toucher les primes offerts aux « plus méritants ». Ils ont mentionné notamment les pratiques dilatoires des avocats de la défense, l’intimidation des membres de la famille par des agents de l’État et la lutte constante et quotidienne afin de faire valoir leurs droits en tant que victimes. Cet exercice a aussi engendré une nouvelle vague d’énergie et d’espoir pour les victimes afin de poursuivre leur lutte pour la justice et la mémoire de leurs proches.
En somme, cette rencontre fut un succès tant pour ASFC que pour les personnes présentes que ce soit les victimes ou les étudiants et les membres de l’équipe, rappelant l’importance d’un dialogue ouvert entre les membres de la société colombienne afin de contribuer à la lutte contre l’impunité et la construction d’une paix durable.