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La disparition forcée au Guatemala : une journée qui perpétue le devoir de mémoire

Catégorie(s): Coopération volontaire, Cas emblématiques, Groupes en situation de vulnérabilité, Lutte contre l'impunité, Guatemala, 2017

Depuis 2004, au Guatemala, le 21 juin est la journée nationale contre la disparition forcée. Dans le pays d’Amérique latine recensant le plus grand nombre de victimes de ce crime, soit 45 000 selon la Commission pour l’éclaircissement historique, la reconnaissance de cette journée au calendrier national est un petit pas dans une longue marche dans la lutte contre l’impunité. Cette route est parsemée d’embûches.

C’est dans le cadre de cette journée nationale que l’équipe du Centre pour l’action légale en droits humains (CALDH) s’est rendue dans la ville de Cobán qui se situe dans la région de l’Alta Verapaz dans le centre du pays. L’organisation guatémaltèque de défense des droits humains y est juridiquement très active, notamment dans l’affaire Creompaz, l’un des plus grands dossiers de disparitions forcées en cours.

Du point de vue du droit international, la disparition forcée correspond à toute arrestation, détention, enlèvement ou toute autre forme de privation de liberté pour le compte de l’État ou avec son aval, suivi du déni de la reconnaissance de ce crime ou encore de sa dissimulation. Il s’agit d’un crime largement reconnu comme étant contraire au droit international des droits de la personne et au droit international humanitaire.

Rappelons que la zone militaire de la région de Cobán a été le théâtre de l’exhumation de plus de 550 corps de personnes disparues d’origine maya durant les années 1980. C’est à cette période que les violences internes ont été à leur comble dans un pays qui a été en guerre civile durant 36 ans.

Les familles des victimes attendaient patiemment pour s’inscrire aux forums organisés.

La nécessité de contribuer au devoir de mémoire

Deux forums ont été organisés par le CALDH. Plus de 400 personnes y ont assisté. Le premier était réservé aux victimes survivantes des massacres et aux familles des victimes disparues, le deuxième étant ouvert au grand public. Le but de l’initiative était de souligner la mémoire des disparus tout en réitérant l’importance des démarches judiciaires pour obtenir justice contre le crime de disparition forcée.

L’événement s’est amorcé par une cérémonie maya en l’honneur des victimes : incantations, fleurs, chandelles, bannières colorées identifiant les victimes et encens ont fait partie intégrante de cette commémoration. L’émotion des survivants et des familles était encore palpable malgré les nombreuses années écoulées depuis les massacres et le désir de justice fortement ressenti.

Un des survivants d’un massacre s’étant produit dans la ville de Rabinal a livré, dans un témoignage poignant, que :

« La lutte pour la justice a commencé à Cobán. La justice n’est pas la vengeance, parce qu’obtenir vengeance serait de leur faire vivre ce que nous avons vécu, donc de le répéter et ce n’est pas ce que nous voulons pour nos enfants. Nous ne voulons jamais que ce qui nous est arrivé se répète ».

Juristes aux dossiers, activistes des droits de l’homme et victimes survivantes se sont ensuite exprimés devant la foule réunie avec l’aide de traducteurs, en quatre langues mayas.

Les personnes présentes ont pu se recueillir devant des bannières à l’effigie des victimes.

Des démarches judiciaires bénéfiques, mais toujours parsemées d’obstacles

Dans ce pays où l’exercice des droits de la personne est encore délicat et constitue un défi, des juristes du dossier Creompaz ont d’abord tenu à rassurer les familles. Ils ont réitéré l’importance de ne pas avoir peur des démarches judiciaires, puisque celles-ci étaient légales et que la constitution du pays les protégeait dans l’exercice de leurs droits, notamment en ce qui a trait à leur sécurité.

Ils ont également rappelé que le cas Creompaz est un exemple qui reflète les nombreux problèmes du système de justice guatémaltèque, d’où l’importance de poursuivre les démarches malgré l’adversité. Ce sont des cas comme celui-ci qui forcent ledit système à évoluer et à s'améliorer.

À l’heure actuelle, le dossier est constamment bloqué par l’usage abusif de moyens dilatoires frivoles par les avocats de la défense. Il s’agit de formalités juridiques complexes à comprendre pour ces populations, ce qui constitue un obstacle majeur qui en rebute plusieurs.


Une implication remarquable auprès des victimes et de leurs familles

Contrairement au système canadien, dans le système pénal guatémaltèque, les victimes peuvent se constituer comme « partie en demande », en plus du ministère public qui dépose les accusations. De ce fait, celles-ci ont droit à leurs propres avocats pour faire valoir leurs droits. Dans le dossier Creompaz, certains de ces avocats sont membres de l’équipe du CALDH, l’organisation appuyée et soutenue par ASFC.

Pilier du maintien du contact avec les victimes et leurs familles, l’organisation est régulièrement présente sur le terrain auprès des communautés pour faire état des avancées sur le plan juridique. Elle continue à recueillir les témoignages servant à renforcer la preuve du ministère public et contribue à créer et à maintenir le lien de confiance envers le système de justice pour combattre l’impunité.

Environ 400 personnes ont assisté aux deux forums organisés par le CALDH.

L’événement organisé par le CALDH en hommage aux disparus s’intégrait dans ce travail de terrain continu auquel j’aurai l’occasion de contribuer au cours de ma mission . De ces forums, je retiendrai la grande force des victimes survivantes et des familles réunies qui, malgré le fait d’avoir été contraintes au silence durant des dizaines d’années, continuent aujourd’hui de se battre pour que justice soit faite.

Sarah Bourgeois-Lessard est conseillère juridique volontaire déployée au Guatemala dans le cadre du projet « Protection des enfants, femmes et autres collectivités vulnérables » mis en œuvre par Avocats sans frontières Canada (ASFC) et le Bureau international des droits des enfants (IBCR). Elle agit depuis le 22 mai dernier au sein de l’organisation partenaire Centro para la accion legal en derechos humanos (CALDH).